2025 dans le secteur automobile : l’IA au secours d’une régionalisation inévitable
Publié le 28 avril 2025
- Automobile & Industrie
- Data & Intelligence artificielle

Cet article a été initialement publié sur le journal La Tribune.
Entre 2015 et 2025, l’industrie automobile mondiale a connu une croissance annuelle modeste de 0,3 %, avec des ventes passant de 88 à 91 millions de véhicules. Cette stagnation globale masque des tendances régionales divergentes. En Chine, par exemple, les ventes de véhicules électriques (VE) ont explosé, représentant 25 % du marché en 2025, contre seulement 5 % en 2015. Pendant ce temps, les marchés occidentaux ont lutté pour maintenir leur dynamisme, confrontés à des transitions réglementaires et technologiques complexes.
Alors que l’industrie entre dans une nouvelle phase, deux forces structurelles redéfinissent les priorités des constructeurs occidentaux : une régionalisation accélérée et l’adoption stratégique de l’intelligence artificielle. Ces dynamiques promettent de transformer profondément la chaîne de valeur automobile.
Une régionalisation irréversible
La mondialisation qui a dominé le secteur automobile pendant des décennies cède peu à peu la place à des stratégies régionales. Les préférences des consommateurs diffèrent désormais considérablement d’une région à l’autre. En Europe, par exemple, les petites voitures électriques dominent, soutenues par des subventions gouvernementales et des règlementations strictes. À l’inverse, en Amérique du Nord, les SUV et les pick-ups continuent de représenter une part écrasante des ventes, atteignant plus de 70 % en 2025. En Asie, la demande se concentre davantage sur des véhicules compacts et connectés, en réponse à une urbanisation croissante et à l’essor d’une classe moyenne.
Les tensions géopolitiques et les politiques protectionnistes renforcent également cette tendance. Face aux incertitudes liées aux tarifs douaniers et aux restrictions commerciales, les constructeurs automobiles privilégient désormais des investissements locaux. Toyota, par exemple, a annoncé un plan d’investissement de 8 milliards de dollars aux États-Unis, visant à renforcer ses capacités de production de véhicules électriques dans la région. Parallèlement, la pandémie et les perturbations des chaînes d’approvisionnement ont révélé la fragilité des réseaux globaux, incitant les constructeurs à privilégier des approches régionales pour sécuriser leurs opérations.
Des technologies qui concilient personnalisation régionale et économies d’échelle
La régionalisation soulève un défi stratégique majeur pour les constructeurs automobiles : comment concilier leur constante recherche d’économies d’échelle avec des attentes locales de plus en plus spécifiques ? L’utilisation de plateformes modulaires globales constitue déjà une réponse à cette problématique. Volkswagen exploite par exemple sa plateforme MEB pour produire des modèles adaptés à différentes régions, allant de la compacte ID.3 en Europe au SUV ID.4 en Chine et aux États-Unis. Cette approche, comme expliqué par Herbert Diess à l’Annual meeting du groupe en 2021, doit permettre de réduire les coûts unitaires d’environ 20 % tout en répondant aux besoins variés des consommateurs.
Par ailleurs, les outils numériques transforment la manière dont les constructeurs personnalisent leurs offres. Tesla, par exemple, permet à ses clients de configurer leurs véhicules en ligne avec des options spécifiques aux conditions régionales. Ainsi, les consommateurs scandinaves peuvent opter pour des batteries adaptées aux climats froids, tandis que ceux des régions arides disposent de systèmes de refroidissement renforcés. Ces innovations ne se limitent pas à la production, mais s’étendent également à l’expérience client, illustrant un changement fondamental dans la relation entre les marques et leurs consommateurs.
L’IA modifie en profondeur la chaîne de valeur historique des constructeurs automobiles.
L’intelligence artificielle s’impose comme un outil indispensable pour relever les défis liés à la régionalisation du secteur automobile. Elle transforme la chaîne de valeur automobile en profondeur, depuis la gestion des approvisionnements jusqu’à la personnalisation des produits et des services. Elle permet ainsi de relever les défis de cette régionalisation tout en améliorant une efficacité opérationnelle inéluctable et attendue au global.
Dans un contexte où les marchés automobiles se fragmentent, les constructeurs doivent répondre à des attentes locales variées tout en maintenant une efficacité globale. Et l’IA est la clé de voûte de cette double réussite. Elle soutient des stratégies d’expansion intelligentes en permettant aux entreprises de répondre aux exigences de personnalisation (produits et services) et de régionalisation. Cela passe par une analyse fine des données locales pour identifier les opportunités et structurer des modèles d’implantation agiles, tels que des joint-ventures ou des partenariats. Par exemple, Stellantis a récemment collaboré avec Leapmotor pour accélérer son implantation en Asie, combinant une approche technologique avancée et une compréhension fine du marché local. L’IA permet ici d’optimiser les configurations produit, de prévoir les besoins spécifiques du marché chinois, et structurer un réseau de distribution adapté, démontrant ainsi comment une intelligence centralisée peut s’adapter à des contextes locaux variés.
Dans les chaînes d’approvisionnement, l’IA permet d’anticiper et de réagir avec agilité aux perturbations. Ford, par exemple, utilise des algorithmes pour réduire de 25 % les interruptions liées aux pénuries de semi-conducteurs, en identifiant et en réorientant les flux critiques en temps réel. Cette capacité d’anticipation se double d’une optimisation des stocks, comme en témoigne BMW, qui a réussi à diminuer ses coûts d’inventaire de 18 % tout en augmentant la disponibilité des pièces critiques dans ses usines européennes.
L’IA joue également un rôle central dans la personnalisation des ventes. General Motors s’appuie sur des données clients pour ajuster ses propositions commerciales. En Asie, par exemple, où les consommateurs privilégient la connectivité, l’intégration de systèmes d’info-divertissement avancés-et adaptés, aurait entraîné une augmentation des ventes de 12 %. Hyundai a également exploité cette technologie pour concevoir des campagnes marketing ciblées, augmentant ses taux de conversion d’environ 15 % grâce à des offres adaptées, telles que des garanties prolongées pour les batteries électriques.
Aspect à ne pas négliger, l’IA permet enfin de prendre en compte les exigences environnementales. Un exemple notable est celui de Tesla, qui intègre des processus adaptables de fabrication. En Chine, l’entreprise a identifié l’intérêt, puis conçu des modèles spécifiques avec des fonctionnalités personnalisées, telles que des filtres HEPA pour faire face à la pollution atmosphérique. Parallèlement, en Europe, ses offres mettent l’accent sur les améliorations en matière d’efficacité énergétique pour satisfaire les attentes écologiques des consommateurs et les réglementations locales.
La fiabilisation des données : une priorité pour transformer la chaîne de valeur
Si l’IA offre des opportunités uniques, sa pleine efficacité repose sur la qualité et la fiabilité des donées. Or, les constructeurs automobiles font face à des problématiques critiques de fragmentation et d’hétérogénéité des données.
L’une des principales difficultés réside dans la multiplication des sources et l’enrichissement des données : capteurs véhiculaires, interactions clients, pluralité de métiers, partenaires tiers— qui génèrent des informations lacunaires ou incohérentes. Par exemple, des données sur l’état des batteries des véhicules électriques peuvent varier selon les conditions climatiques ou les modalités de collecte, ce qui complique leur analyse prédictive par des algorithmes d’IA.
De manière similaire, les données issues de partenaires tiers, tels que les fournisseurs de pièces pour les chaînes d’assemblage, peuvent souffrir d’un manque de standardisation. Des variations dans les formats ou dans la fréquence des mises à jour des informations sur les stocks de composants critiques rendent alors difficiles leur intégration dans les modèles prédictifs de gestion des approvisionnements, et limitent la capacité des constructeurs à anticiper et répondre aux ruptures de chaîne d’approvisionnement. Sans données standardisées et fiables, les algorithmes produisent des prédictions erronées, compromettant ainsi la prise de décision.
De plus, l’interopérabilité des données entre différents métiers chez les constructeurs automobiles, ou maintenant leurs agents intelligents, reste un enjeu majeur. Prenons l’exemple d’une donnée technique émise par le département de conception-ingénierie : si sa définition sémantique n’est pas harmonisée, elle pourrait être difficilement exploitable par l’équipe supply chain. Ce manque de coordination freine les gains potentiels d’efficacité qu’offre l’IA, qu’il s’agisse d’optimiser des flux logistiques ou de réduire les délais de production.
Pour surmonter ces obstacles, il est essentiel de décloisonner et de fiabiliser les données. Les plateformes unifiées et interopérables permettent d’agréger les données provenant de différentes sources, tout en réduisant les doublons et en instaurant des standards robustes pour garantir leur qualité. Certains constructeurs, comme Stellantis, illustrent bien des morceaux de cette approche : en centralisant les données de ses multiples marques sur une plateforme unique, le constructeur a augmenté la précision de ses prévisions opérationnelles et réduit les incohérences.
Cette transformation ne bénéficie pas seulement à la gestion interne, mais aussi à l’exploitation des données par lesdits agents intelligents. Ces derniers peuvent alors offrir des recommandations précises et adaptées, qu’il s’agisse de personnaliser des offres commerciales, de planifier des opérations logistiques complexes ou encore de prédire les besoins futurs d’un marché régional. Ainsi, la fiabilisation des données devient une condition sine qua non pour exploiter pleinement le potentiel de l’IA et transformer la chaîne de valeur automobile.
Vers un avenir agile
L’industrie automobile est à un carrefour déterminant. La fragmentation des marchés et l’IA représentent des courants majeurs pour réinventer les modèles économiques et répondre aux attentes d’une clientèle de plus en plus diversifiée. Les constructeurs qui investiront intelligemment dans leurs données, et des systèmes de gestion de données robustes et unifiés, tout en adaptant leurs offres aux spécificités régionales, sauront capter la valeur créée par ces transformations. La régionalisation et l’intelligence artificielle ne sont pas simplement des tendances passagères, mais des forces transformatrices.
Les entreprises qui sauront combiner ces dynamiques auront un avantage compétitif décisif en 2025 et au-delà.
Auteur
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Mathieu Sabarly
Associate Partner – France, Paris
Wavestone
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